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#34 - La double contrainte, ou l'art de rendre fou

La double contrainte

ou l'art de rendre fou

La notion de "double contrainte" a été découverte par l’école de psychologie de Palo Alto, aux états unis.

Ses chercheurs l’illustrent à travers la célèbre histoire des deux cravates. Une mère offre à son fils deux cravates pour son anniversaire. Le fils, tout content met une des deux cravates pour le dîner, mais quand sa mère le voit arriver dans la salle à manger, elle prend un air consterné et dit : « J’en étais sûre : tu n’aimes pas l’autre ! » Si le fils avait mis la deuxième cravate, il aurait eu la même réflexion au sujet de la première. S’il n’en avait mise aucune, il aurait été accusé de ne pas aimer les cadeaux de sa mère et s’il avait mis les deux, elle en aurait conclu qu’il se moquait d’elle. Il n’y avait donc pas d’issue.

 

Un rond-point sans issue

Imaginez que vous soyez en voiture. Vous vous engagez dans un carrefour à sens giratoire et quand vous voulez en sortir, vous découvrez avec stupeur que toutes les branches du rond-point sont ornées d’un panneau de sens interdit. S’il y a de plus un agent de police suspicieux qui vous guette au tournant, il ne vous reste plus qu’à tourner inlassablement dans votre rond-point pour éviter l’amende. C’est très exactement l’impression que donne le fait d’être soumis à une double contrainte.

 

Ça rend fou !

En demandant une chose et son contraire simultanément, on peut systématiquement disqualifier l’option retenue. Beaucoup de situations de la vie courante comportent des doubles contraintes. Voici un exemple éternel d’une double contrainte sociale : qu’une femme privilégie son travail, c’est une mauvaise mère ; mais si elle fait passer son enfant en priorité, elle prouve qu’on ne peut pas compter sur les femmes en entreprise. Bon courage, les filles !

 

Il existe la même double contrainte au masculin : nos hommes doivent aujourd’hui être virils sans être machos. Bon courage, les gars ! La plus célèbre double-contrainte est la consigne : « Sois spontané ! » qui empêche complétement de l’être. J’aime bien aussi le « Commande-moi ! » qui oblige à obéir pour commander.

 

La double contrainte n’est pas toujours consciemment calculée. Elle émane essentiellement d’individus très frustrés sachant bien plus dire ce qu’ils ne veulent pas que ce qu’ils veulent, mais peut aussi provenir de nos contradictions internes. Il suffit finalement de se mettre au clair et cette simple question suffit : « Que veux-tu précisément ? » puis de hiérarchiser ses priorités.

 

Comment faire tourner en bourrique

Les manipulateurs sont évidemment les champions de la double contrainte. Avec eux, le problème est insoluble, car si vous demandez à un manipulateur : « Qu’attends-tu de moi, concrètement ? », il se défilera, autant parce qu’il est incapable de définir ses propres besoins que parce qu’il ne veut pas vous indiquer une des issues de son piège. Alors, il répondra, énigmatique : « Tu le sais très bien ! » Insistez et il dira avec emphase : « Si tu ne le sais pas, c’est encore plus grave, parce que tu devrais le savoir ! ».

 

La double contrainte vous met en position d’avoir toujours tout faux, quelle que soit l’option que vous choisirez. Lorsqu’on n’a aucun recul sur ce mécanisme et qu’on cherche à contenter un manipulateur, on s’épuise en vain et on se décourage. L’impression de ne pas être à la hauteur de la situation donne un sentiment d’incompétence et mine l’estime de soi.

 

Portez les deux cravates !

A ma connaissance, seul Frank Farrelly, le psychiatre américain créateur de la méthode dite de « thérapie provocatrice » propose une solution efficace pour échapper à la double contrainte. Il suggère au fils de répondre tranquillement à sa mère : « Je n’aime pas l’autre non plus. Ces deux cravates sont affreuses, Maman. Mais c’est toi que j’aime et c’est pour ça que je les porterai l’une et l’autre avec plaisir.»

 

Hélas, rares sont les gens à avoir le culot, l’humour et le sens de la répartie de Frank Farrelly. Sinon, la double contrainte n’existerait plus et on rirait bien plus dans les foyers. Mais en attendant que nous soyons tous capables de déjouer ce piège, la « double contrainte » a de beaux jours devant elle.

 

 

 

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Commentaires: 6
  • #1

    Marie claude Kruttli (mardi, 06 août 2024 16:29)

    Merci Christel pour cet article qui me parle tellement
    Comme ça fait tu bien de te lire

  • #2

    Eva B. (mardi, 06 août 2024 23:04)

    Merci de nous inspirer et encourager pour tenter de faire face à ces manipulations qui n'en ont pas l'air.

  • #3

    Sara.L (mercredi, 07 août 2024 10:20)

    Très intéressant et bien écrit. J'adore l'idée de la méthode dite provocatrice. :) Une belle idée de repartie pour mettre fin à cette idée stupide que le cadeau (utilisé ou porté) représente l'amour (l'amitié, la fidélité ou la dévotion ?), que l'on porte à celui qui nous l'a offert tout en le rassurant. Ingénieux, mais humain. Ainsi, chacun retrouve sa place !

  • #4

    MARIE (vendredi, 09 août 2024 16:44)

    Je n'avais pas mis des mots sur ces jeux psychologiques....Merci pour ton éclairage.Bel été!

  • #5

    Olawinski (samedi, 10 août 2024 14:06)

    Bravo pour cette explication très claire qui va engendrer bien des conflits utiles et formateurs

  • #6

    Valerie (mardi, 13 août 2024 15:14)

    Très intéressant. Et arrive pile poils. Je me rappelle très bien avoir nommer exactement ça à ma psy: l’impression de situation sans issus… l’impression que peu importe ce que j’allais faire où dire, l’issus serait la même. L’impression d’être prise au piège.

    Et d’avoir dit, bon ben, parmi tous ses « pas de choix », il ne me reste qu’à choisir ce que moi je veux sans égard à la réaction de l’autre…

    Je ne savais pas que ce phénomène avait pour nom, la double contrainte…

    On voudrait dont choisir le geste qui fera que l’autre est aimé… mais il ne nous appartient pas de l’aider à s’aimer lui même assez pour recevoir notre amour. Alors aimons-nous en choisissant l’action qui nous permet d’être vrai avec nous même et d’exprimer notre amour pour l’autre et laissons le tout être… l’autre le recevra s’il en a la capacité de l’accueillir. On ne peut qu’offrir. On ne peut pas forcer à recevoir.