Mon argent et moi, c'est bien plus que ça
L'argent symbole de vie, d'amour, de pouvoir, et de sexe
A l'origine, lorsque la monnaie a été inventée, l'argent n'était sensé être qu'un moyen d'échange pratique pour assurer le troc sur une base égalitaire. Représentant tour à tour trois poulets, cinq fromages ou une nuitée d'auberge, l'argent s'est progressivement chargé de significations diverses de plus en plus abstraites et symboliques telles que valeur, accession à la propriété, indicateur économique, réparation juridique d'un préjudice, reconnaissance d'un statut social, transmission de patrimoine, etc. Quant aux façons de faire du troc, elles se sont également diversifiées : vente, emprunt, donation, cotisation, vol, escroquerie, détournements de fonds, mendicité... La créativité humaine ne semble pas avoir de limites pour inventer chaque jour de nouveaux moyens de faire passer l'argent d'une escarcelle à une autre.
Si quand on aime on ne compte pas, pourquoi les bons comptes feraient-ils des bons amis ?
Et bien tout simplement parce qu'on ne parle pas de la même chose. Dans le premier cas, l'argent est "amour", dans l'autre, "équilibre du pouvoir". Ainsi, l'argent peut avoir une signification radicalement différente pour chacun d'entre nous en fonction des contextes et c'est pourquoi parler d'argent peut être la source des plus grands malentendus en communication. Par exemple, si un employé parle de son salaire en terme de "reconnaissance de sa valeur personnelle" à un patron qui pense la même somme en terme de "charge pour son entreprise", le refus de l'un d'augmenter ses charges sera perçu par l'autre comme un refus de reconnaître la qualité de son travail et va générer beaucoup d'incompréhension réciproque et de démotivation pour le salarié. Posez la question autour de vous : "Que représente cet argent pour toi ?". Vous serez surpris de la diversité des réponses et de la charge émotionnelle contenue dans beaucoup d'entre elles. Car au-delà du billet de banque ou de la carte de crédit, au-delà des chiffres, on parle de vie, d'amour, de pouvoir ou de sexe et de toutes les implications qui peuvent en découler.
Crédit d'amour, débit de pouvoir et assurance vie
Lorsque l'argent symbolise la vie, le raisonnement devient le suivant : "La bourse, c'est la vie". Dépenser devient alors hémorragie (se saigner aux quatre veines). Voilà pourquoi plus les personnes âgées ont peur de mourir, plus elles deviennent avares, sauf pour les dépenses de santé et de sécurité bien sûr. C'est dans le même esprit d'argent-vie que viennent s'inscrire les dommages et intérêts pour préjudices de vies abîmées ou détruites. L'héritage permet, au-delà de la mort, de transmettre la vie à sa lignée.
Lorsque l'argent devient amour, il se transforme en cadeaux. Il y a les cadeaux gratuits : je te donne pour le plaisir d'offrir, pour te dire que je t'aime et je n'attends rien de toi en retour. Et puis, il y a les cadeaux "acheteurs d'amour" : je te donne pour que tu aies besoin de moi, pour avoir du pouvoir sur toi, pour créer une dette afin que, n'étant pas "quitte", tu ne puisses pas me quitter. Si la confusion entre amour et argent devient totale, le portefeuille se trouve littéralement à la place du cœur. Puisque le temps c'est de l'argent, l'argent sera le temps que je ne donne pas. L'usage de mon chéquier me dédouanera de tous mes devoirs parentaux ou conjugaux de présence, d'écoute, de partage et de tendresse. Une console de jeu vidéo ou un flacon de parfum ne remplaceront pourtant jamais la chaleur humaine, mais je pourrai le nier sans complexe, car mon chéquier achète aussi ma bonne conscience. Inversement, si tu me retires ton amour, je saurai te rester "cher(e)" pendant des années au travers d'une pension alimentaire.
Les princesses aussi font leurs comptes
Quant à "l'argent-sexe" et "l'argent-pouvoir", jusqu'au début du siècle, ils étaient l'apanage des hommes. Les femmes, en retour, payaient de sexe et de soumission l'argent-vie et l'argent-amour qu'on voulait bien leur donner. Dans aucun conte de fées, il n'existe une fin disant : "Elle fut heureuse et gagna beaucoup d'argent". Entre la belle et son pouvoir d'achat, il y avait forcément un prince charmant. Très mal préparées à une longue vie de salariée, les femmes n'étaient sensées faire des études ou travailler que le temps de décrocher un bon parti : l'infirmière son médecin, l'hôtesse de l'air son pilote ou la secrétaire son patron. La société culpabilisait celles qui ne cessaient pas de travailler une fois mariées. Elles faisaient honte à leur mari en l'affichant comme un homme incapable de gagner assez d'argent pour deux, elles volaient l'emploi d'un honnête père de famille réduit à la misère par leur caprice et pire que tout, mères indignes, elles abandonnaient lâchement leur progéniture. Mais les femmes ont tenu bon contre vents et marées et les choses ont beaucoup évolué ces dernières décennies. Grâce à leur indépendance financière durement conquise, elles se sont réapproprié leur sexualité donc leur droit au plaisir et à l'exercice du pouvoir autant sur elles-mêmes que dans la société où elles s'investissent de plus en plus dans des postes à responsabilités et dans la politique.
En matière d'argent, le silence est d'or
Les choses évoluent : on commence un peu, timidement, à dire le montant de nos salaires, à aborder publiquement les problèmes de surendettement et même à demander des comptes à nos élus sur leur gestion de nos sous !
Malgré tout, parler d'argent reste encore difficile, gênant voire honteux dans bien des situations. Plus tabou encore que la sexualité, l'argent génère en secret ses propres névroses et phénomènes de dépendance. A l'instar de l'alcool, il peut procurer griseries, vertiges, pertes de contrôle et réveils aussi douloureux qu'une gueule de bois. Du dépensier compulsif, voisin du boulimique à l'adepte de la pauvreté, cousin de l'anorexique, en passant par l'obsédé de la réussite financière ou l'abonné au "Demain, la chance me sourira", nous croisons tous les jours, souvent sans le savoir, des drames et des douleurs muettes. Tous ont en commun les sautes d'humeur, de l'euphorie à l'angoisse, le déni, le mensonge, la honte et surtout le poids du silence et de la souffrance solitaire, comme dans tous les comportements de dépendance.
Pouvoir parler, dire, témoigner, partager est indispensable pour guérir, pour grandir. Alors, si on parlait d'argent ?
Pour en savoir plus
Conférence : Le rapport à l'argent dans les familles
Voici le replay de ma conférence enregistrée en Facebook Live en juillet 2022.
Écrire commentaire